10 ans après, où en est le coworking ?
Il y a 10 ans, quelques jours après l’ouverture des Satellites, j’écrivais quelques lignes sur le coworking, son entrée au monde, ses aspérités, ses velléités. Aujourd’hui je me relis, 10 ans après. En 10 ans, qu’est-ce qui a changé ? Plongeons ensemble dans ces eaux introspectives.
Voici la méthode : en italique c’est 2011, en tout ce qu’il y a de plus normal, c’est 2022.
2011 – Qu’est-ce que le coworking ? Que se cache-t-il derrière ce vocable anglais que les Québécois nomment cotravail ? Pourquoi en parle-t-on de plus en plus en France ? D’emblée, je n’ai pas l’ambition de figer une définition du coworking. Je souhaite bien plutôt dessiner les contours d’un mouvement devenu mondial parce qu’adapté aux pratiques contemporaines du travail (mobilité, environnement social, technologies, design). Bien plus qu’un mot, le coworking est une expérience, et comme toute expérience, il se vit mieux qu’il ne s’explique.
2022 – En 2022, 10 ans plus tard, on parle encore de coworking. On en parle même davantage ! Entendons-nous, le coworking n’est pas le buzz, on n’en parle moins que de la pluie et du beau temps. Mais c’est toujours une tendance, chaque année un peu plus comprise, surtout depuis qu’une force majeure coronaesque nous a cloué au lit du seuil de notre porte, depuis donc qu’on se confine et qu’on réalise enfin que ça marche le télétravail. Télétravail : que ce mot est laid d’ailleurs ! Bien plus laid que coworking. Là (encore), les Anglais gagnent : coworking ça glisse, ça claque ! Mais est-ce qu’en 10 ans on a compris ce que c’était ? Oui. Un oui d’extase.
C’est l’histoire de Jean qui, un soir de plus, ne rentre pas chez lui car il y est déjà, il y a passé toute la journée ses pieds transpirants les Charentaises. Il n’a pas ouvert une fois la bouche si ce n’est pour bailler. La même musique dans ses oreilles l’entraîne un peu plus bas, c’est la routine. Il se sent seul – c’est terrible comme le travail isole. Qui pour l’aider ? Personne. Internet est sa fenêtre d’optimisme, son point de contact social, sa bulle d’intranquilité. Les algorithmes se chargent de son actualité : chaque journée se ressemble. Quelle torpeur ! Plus de découverte, plus de hasard, plus de surprise. Ça, ce tableau-là, c’est tout ce dont le coworking se charge : il prend ce récit et le renverse totalement. Yeux dans les yeux il lui dit : ça suffit la solitude ! Cela, tout le monde l’a désormais compris.
2011 – D’abord, un peu d’histoire. « Coworking space » est prononcé pour la première fois durant l’été 2005 à San Francisco. Les fondateurs de Citizen Space décident de regrouper dans un même lieu leurs amis, collaborateurs, clients et partenaires et de travailler ensemble. Le coworking tel que nous le connaissons aujourd’hui naît. Ce « troisième lieu », théorisé sous la plume du sociologue R. Oldenburg, prend un nouveau tournant. Ni domicile, ni bureau, ce troisième lieu est un endroit informel de grande sociabilité où le partage, l’échange et les rencontres sont accélérés. À sa naissance donc, le coworking est à la fois cette curiosité intermédiaire, à la fois cette intention de réunir des individus d’horizons différents.
2022 – Ah l’histoire du coworking ! Si courte et déjà terminée ? Wework a fait tant de mal à toute une industrie, celle qui investissait des fonds dans des opérations immobilières toujours plus grandes et toujours plus design, qu’il y eut une courte période où les petits espaces de coworking, ceux qu’on appelle indépendants, se sont sentis sûrs de leurs modèles. Quand il n’y a plus d’argent, on se demande vraiment bien ce qu’ils trament chez Wework… Mais attendez, le covid-19 nous a tous remis d’aplomb. Le virus a paradoxalement repris en main l’histoire du coworking. Covid et coworking collaborent main dans la main désormais, désinfectées s’il vous plaît, pour que ce troisième lieu redevienne si essentiel à nos vies. Comme si l’histoire s’était de nouveau accélérée dans un monde où le télétravail (beurk à prononcer, beurk à écrire) ringardise le bureau et où travailler chez soi n’est pas si bien que ça tout compte fait. Tout ça en deux ans ! Le coworking a gagné, si bien entendu tous les espaces survivent à cette période. Aujourd’hui, tenir il faut car demain contenir la vague des séduits du coworking, des convaincus des liens à tisser en fil de soi(e), des férus de l’invitation à participer à un meilleur monde que nous formulons il faudra. Merci qui ? Merci corona…!
Le coworking est toujours aujourd’hui un nouveau besoin. Ce qu’il emporte avec lui c’est une nouvelle vision du lieu. Les architectes, les planificateurs urbains, les professionnels qui questionnent la ville et les lieux de vie ont tous la carte coworking en main. Le coworking est une brique de la ville de demain, celle qui intègre, qui raisonne en circuit court, en proximité. Le coworking est le hashtag de plus qu’on appose à #smartcity et au #futureofwork. C’est ainsi. Dedans, la sérendipité – alerte buzzword enfin terminée – est au service des relations que chaque membre a la volonté de tisser. Le coworking n’apporte rien s’il est un lieu où l’on s’assoit sans mot dire (à maudire, en effet). Le coworking est génial dès qu’on y revient pour y faire des choses tous ensemble en communauté.
2011 – Le coworking est donc une atmosphère, une ambiance de travail unique où s’alternent des périodes de concentration forte et des instants de franche détente. Près de 40 espaces de coworking ont essaimé en France et tous les jours de nouveaux projets voient le jour. Il n’est plus de grande ville française sans son espace de coworking (Nice, Lille, Paris, Lyon, Bordeaux, Rennes, Toulouse, Nantes, Marseille, etc.). Au point où les entreprises s’en trouvent influencées : des programmes de mobilité alliant flexibilité et télétravail se mettent en place (Renault, Cap Gemini, MMA, Dassault, etc.). L’idée de pouvoir enfin choisir où travailler modifie peu à peu les comportements. Le mouvement, par ailleurs, se fédère : une conférence internationale sur le coworking s’est tenue à Berlin durant trois jours en novembre. Les pouvoirs publics s’en mêlent. Ceci augure peut-être une transformation forte des structures actuelles du monde du travail : il faut s’en féliciter.
2022 – Nous sommes passés en dix ans de 40 à 2 000 espaces de coworking en France. Il n’y en a pas encore un dans chaque commune de France mais les territoires, dans leur diversité, sont bien servis. Doit-on se féliciter d’avoir fait du bon boulot, nous, cette première génération qui a formé, conseillé, montré l’exemple et la voie à suivre aux autres ? Pas vraiment et tant mieux. Je m’explique. L’ « industrie » du coworking en France est aussi diverse que celle des pays voisins et n’a pas de particularité propre. À l’instar du monde de la restauration, nous déambulons entre fast-food du coworking et trois étoiles Michelin du coworking. Grand bien nous fasse, bien sûr, car il y a du choix ! Aujourd’hui, l’art ultime est de trouver sa place dans ce spectre entre gourmet, bistro, gastro, à la bonne franquette, terroir, fusion, c’est-à-dire parmi les design, corporate, communautaire, à l’heure, sachant qu’on ne peut pas tout être à la fois et que ceux qui le disent sont une catégorie de plus. Il y a le choix. Tant mieux. Nous n’y sommes pour rien. Il n’est plus d’arrondissement de Paris sans ses 10 espaces de coworking. La meilleure conférence de coworking existe en Asie (et c’est CUAsia sans équivoque possible). Et malgré ce panorama réjouissant, le coworking demeure un microcosme. Ce que nous avons appris entre nos murs doit transpirer désormais. Nous devons montrer que la communauté, essentiellement, est une réponse crédible aux difficultés de l’entreprise. C’est la nouvelle frontière et nous irons nous retrouver de l’autre côté.